Cette interrogation sonne comme un
coup de massue sur la tête du jeune congolais. Car sa réponse bafouille, il a
entendu parler du personnage mais ne sait réellement pas ce qu’il a été et ce
qu’il représente pour le Congo, l’Afrique et le monde des opprimés. S’il en a
entendu parler, c’est plus par des biais détournés. Une pièce de théâtre l’a
immortalisé, Une saison au Congo du poète
martiniquais, Aimé Césaire. Tous les
moyens étaient bons pour ruiner le prestige de cet homme de 36 ans. Les études
des lettres par lesquelles, la jeunesse pouvait prendre conscience ont été
négligées sous le régime de Mobutu et le même sort poursuit ceux qui s’y
risquent jusqu’aujourd’hui. Le livre de Césaire a vite été censuré ; pendant
la dictature, il se lisait sous le manteau car sous ce régime inhumain, ce nom
était tabou. Et pourtant, c’est le dictateur qui l’élève au rang de héros
national. Quel paradoxe !
Pour
que Lumumba survive à jamais
Le Congo a régressé d’un point de
vue patriotique. L’idéal nationaliste hérité de Lumumba n’est plus qu’un
slogan. N’ayons pas peur de le dire. Mais ce serait infliger une seconde mort à
Lumumba que de ne pas respecter le serment qu’il fait de ne jamais trahir le
Congo. Et aux yeux de ses descendants qui nous observent, nous aurions tous été
plus qu’ingrats. Aujourd’hui le nom de Lumumba sert de fonds de commerce
politique ; les vrais lumumbistes sont à compter au bout des doigts et la
trahison du Congo, pour une poignée de dollars, est devenue monnaie courante.
A ce titre, nous sollicitons du
Patriarche Gizenga qui a très bien connu Lumumba de transcender sa fatigue et
d’en appeler à une sorte d’états généraux du lumumbisme où la carte de
l’unification devrait être jouée. Ce qui existe aujourd’hui en cartels qui se
combattent devrait fonctionner à l’intérieur d’un grand parti lumumbiste unifié
comme de courants. C’est là une première manière de perpétuer l’idéal
nationaliste nous légué par Lumumba.
En fait, Mobutu a joué le malin en
usant d’une véritable opération des relations publiques pour tenter de soigner
son image auprès du peuple. Pour deux raisons : la première est qu’il
était toujours conscient de son rôle dans l’élimination physique de Lumumba. Une
ingratitude à l’image de celle de Judas alors que c’est Lumumba qui en fait un
colonel puis le chef d’Etat-major général des armées. La deuxième raison, est
qu’après avoir perturbé l’ordre constitutionnel du pays par son coup d’Etat, il
se devait de se racheter en accordant à Lumumba le prestigieux statut de héros
national tant la ferveur populaire pour ce personnage était loin de retomber.
Mobutu réalisait combien la prophétie de Patrice Lumumba s’accomplissait. En
effet, dans une de ses dernières déclarations, Lumumba prédit que s’il « devait disparaître, dans toutes les villes, les villages et les forêts du
Congo, tout un peuple continuera à le croire vivant, à attendre patiemment son
retour, des années s’il le faut, pour les délivrer d’un néocolonialisme acharné
à sa ruine. »
Aujourd’hui, depuis la chute de la dictature,
c’est un pouvoir qui se réclame de Lumumba qui dirige le pays. Et chaque 17
janvier, des commémorations sont organisées pour honorer la mémoire de ce
vaillant fils du pays qui a osé narguer le capitalisme mondial et tout le
système oppresseur qu’il a mis en place. Et puisque ces vautours n’aiment pas
être contrariés dans leur élan de prédation, ils ont purement et simplement
étouffé la voix qui les gênait en tentant d’attirer l’attention sur la vaste
spoliation des richesses du pays.
Mais la commémoration du 17 janvier
2013 comporte un autre relief. Elle a lieu au moment où une révision du procès
de Lumumba a été introduite par sa famille biologique auprès du gouvernement
belge, responsable direct de sa mort tragique. Pour éclairer la gouverne des
jeunes, quelques questions méritent d’être posées. Quelle est la substance de
la pensée de cet homme politique et pourquoi n’est-elle pas enseignée dans nos
écoles ? Pourquoi le lumumbisme national n’a-t-il pas revendiqué la
réouverture de ce procès plutôt que sa famille biologique ?
Un
prophète adulé mais méconnu
Nul n’est prophète chez lui nous
rappelle un vieux dicton populaire. Très peu de jeunes congolais ont une idée
de la pensée de Lumumba. On l’a vu avec Moncef Marzouki qui a développé un dithyrambe
en l’honneur de Lumumba lors du sommet de la Francophonie. Mais nous, jeunes congolais réclamons haut et
fort de connaître ce grand prophète qui a travaillé à la libération de notre
pays du joug colonial. A l’instar de tous les grands leaders du monde qui ont
beaucoup fait pour leur pays sans attendre quoi que ce soit en retour, nous
entendons tout connaître de sa pensée afin de continuer son combat. Et comment
poursuivre le combat dès lors que nous ne savons pas où le sien s’est
arrêté ?
L’actuel pouvoir se réclamant de
l’héritage lumumbiste doit, sans hésiter, travailler à faire connaître la
pensée de grand-père Patrice. Il n’y a plus aucun obstacle car ses accusateurs
eux-mêmes admettent aujourd’hui s’être trompés sur les motivations communistes
de Lumumba. Mais ceci n’est qu’un prétexte. Les vraies raisons sont dans la
mainmise que les puissances impérialistes veulent avoir sur nos matières
premières. Et parce que ces matières premières sont éparpillées dans
différentes provinces du pays, elles arment des congolais pour tuer d’autres
congolais comme Patrice Lumumba l’avait prédit pour sa propre fin :
« Si je meurs demain, c’est parce
qu’un blanc aura armé un Noir. » Cette tactique est mise en œuvre
chaque fois que l’on veut bâillonner une voix dérangeante. Ce fut le cas tout
récemment pour Mzee Kabila et pour bien d’autres congolais qui n’entendent pas
céder le moindre centimètre carré de leur territoire afin de respecter le
testament du grand-père Patrice : « A mes fils, que j'ai quittés peut-être pour ne plus jamais les
revoir, je veux qu'on dise que l'avenir du Congo est beau et qu'il attend d'eux
et de tous les Congolais la réalisation de la tâche sacrée de reconstruire
notre indépendance et notre souveraineté ; parce que sans dignité il n'y a pas
de liberté ; sans justice il n'y a pas de dignité et sans indépendance il n'y a
pas d'hommes libres. »
Des concepts-clés émergent de cette
parole d’adieu : la souveraineté, la dignité, la liberté, la justice.
Chacun de ses mots a aujourd’hui une résonance particulière. Notre souveraineté
est menacée par une volonté manifeste de balkanisation du pays de Lumumba.
Notre dignité est foulée aux pieds par des prédateurs corrompus et armés par
l’étranger pour pousser des millions de congolais à l’errance dans leur propre
pays ; ce que Lumumba avait déjà prédit dans son discours du 30 juin 1960.
Aujourd’hui, l’être du congolais n’a pas de considération due à un humain. Un
kilo d’or ou de coltan vaut plus que la vie d’un citoyen congolais. Lesmillions de congolais morts du fait de cette course effrénée pour le coltan
fait de notre pays celui des génocides oubliés. On a fait très peu de cas du
génocide de Léopold II à cause du caoutchouc ; l’aveuglement capitaliste
est en train de réitérer cette performance macabre au Congo au nom du coltan. Non,
nos richesses ne sont pas et ne doivent pas constituer pour nous une
malédiction.
En plus, la justice nous est
sélective. On semble l’appliquer à notre faveur quand cela arrange les affaires
des prédateurs. Dans le cas contraire, on crie au scandale ; on évoque
toutes sortes d’artifices parce que les dirigeants congolais du moment ne
rentrent pas dans leur schéma. Tous les crimes dont l’horreur est
indescriptible sont couverts et la moindre bavure policière congolaise, pourtant
apanage de toutes les polices du monde, est amplifiée comme au temps où le
Congo était présenté comme la terre où régnaient les ténèbres. Ils font tout
pour occulter la voix de Patrice, mais elle résonne plus fort qu’avant et nous
appelle à plus de détermination pour bâtir notre pays, plus beau qu’avant. Pierre
Corneille avait raison de dire : « Une tête coupée en fait renaître
mille. » Qu’on donne à la jeunesse la quintessence de la pensée de Lumumba
et l’on verra qu’il en renaîtra plusieurs autres petits Lumumba.
Lumumba,
le jeune et l’avenir
La détermination de Patrice doit
habiter tout jeune congolais. L’avenir du Congo était le leitmotiv de l’agir de
Lumumba. Cet avenir, il le voulait beau et brillant au soleil. C’est pourquoi
il se sacrifie jusqu’à interdire à sa compagne de ne pas pleurer pour lui. Or
l’avenir d’un pays c’est sa jeunesse. Cette jeunesse doit s’abreuver à une
source idéologique cohérente et disposant d’un idéal pour le pays. La pensée de
Lumumba est cette source dont on veut empoisonner les eaux pour que s’éteigne à
jamais la revendication de l’instauration d’un Etat congolais prospère. Le
chemin ne sera pas facile ; il sera parsemé d’embûches de toutes sortes.
Si au sujet de grand-père Patrice, on a beaucoup menti, il en va de même
aujourd’hui pour cette jeunesse que les ennemis internes essaient de manipuler
pour le détourner de l’idéal nationaliste. L’avenir du pays c’est la jeunesse,
notre revue Avenir entend donc
assurer un avenir à ces milliers de jeunes lecteurs congolais en leur
inculquant quelques points forts de la pensée de Lumumba.
La deuxième manière et celle-ci est
transgénérationnelle, c’est de matérialiser son vœu de voir l’histoire de ce
pays s’écrire sur place. Les historiens de ce pays, mais surtout les idéologues
de tous les partis lumumbistes devraient travailler à rassembler tout ce qui
peut constituer la pensée de Lumumba et la mettre à la disposition de la
jeunesse. Pour cela, le seul livre de Lumumba, Congo, terre d’avenir devrait être réédité, même annoté puis vendu
à un prix abordable ou au besoin distribué. De la sorte, des relectures
scientifiques peuvent être amorcées pour réaliser combien cet homme
providentiel avait vu loin avant tout le monde. Car ce qu’il dénonçait hier a
encore cours à ce jour et notre indépendance n’est que nominale. Les chefs
d’accusation portés contre lui ayant été balayés par l’histoire, il n’y a donc
aucune raison que la pensée de Lumumba ne soit enseignée et ait également ses
spécialistes locaux comme les ont tous les autres grands hommes politiques de
l’histoire.
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